LES CHASSEURS DE TÊTE TRAVERSENT-ILS UNE CRISE IDENTITAIRE ?
- 4 octobre 2017
- adminHrcg
- Executive search
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L’industrie de la recherche de cadres – comme d’autres activités de services professionnels – vit depuis plusieurs années une phase de mutation significative. Ce qui est intéressant, c’est que – dans le cadre de la chasse de tête – l’objet de recherche en question, à savoir la recherche de cadres confirmés, reste inchangé malgré la mondialisation et la croissance des technologies conçues pour rendre plus petit l’espace de jeu pratiqué à l’échelle mondiale. Même si certains chasseurs sont passés dans d’autres domaines d’activité, comme le coaching exécutif, le conseil et les pratiques d’évaluation des cadres (assessment), globalement la méthodologie de recherche effectuée reste la même qu’il y a 70 ans.
Désormais les candidats sont capables de prendre le contrôle de leur carrière et de l’orienter beaucoup plus efficacement que par le passé et la possibilité de prendre des contacts directs à travers les nouveaux médias est venue ébranler l’industrie du recrutement à plusieurs niveaux. Ils sont conscients qu’avoir une présence en ligne est essentielle pour tout professionnel moderne et cela signifie que davantage d’entre eux cherchent de manière proactive soit des sociétés (futurs employeurs), soit des contacts personnels en sourcing leur permettant ainsi d’explorer de nouvelles opportunités. Suite à « l’explosion » de LinkedIn, le ciblage de candidats passifs est devenu plus fréquent, et même si les étudiants et les nouveaux diplômés représentent le segment démographique dont la croissance est la plus rapide (40 millions selon les chiffres annoncés par LinkedIn en 2016), les cadres de toutes les entreprises internationales y sont en grande partie présents.
La difficulté liée au volume d’informations actuel requiert un service qui soit presque exclusivement dédié au sourcing pour passer au crible l’ensemble des données, ce qui entraîne inévitablement une perte de temps. Vous pouvez effectivement être en mesure d’identifier les candidats plus facilement, mais cela ne signifie pas qu’ils sont des profils intéressants et intéressés. De ce fait, ces informations ne remplaceront jamais le service et l’expertise de professionnels qui connaissent aussi bien les candidats que leurs marchés. Les compétences les plus pointues sont encore rares et le rôle des recruteurs va être de comprendre comment utiliser la technologie de la meilleure manière possible pour identifier ces profils rares, néanmoins cela ne remplacera pas la nécessité d’effectuer des entretiens qui restent encore le moyen d’évaluation le plus fiable.
Selon Simon Hearn, chief executive chez Per Ardua Associates, il y a trois principaux facteurs de changement qui se manifestent sur le marché actuel:
– La professionnalisation des recruteurs internes dans les sociétés. Par exemple, la majorité des principales banques ont leurs propres équipes internes de recrutement depuis plusieurs années. Ce qui change, c’est le niveau auquel elles opèrent. Actuellement on peut voir une banque privée utiliser des ressources internes pour la recherche d’un CEO régional ou d’un Relationship Manager Senior, voir un cabinet d’avocats international à la recherche d’un associé spécialisé. Il y a cinq ans, cela aurait été très surprenant.
– Une utilisation accrue des sociétés de recherche de cadres qui fournissent en sous-traitance des informations directement aux RH dans certaines grandes entreprises. Encore une fois, ce qui est nouveau ici, c’est le niveau auquel ils utilisent cette prestation de services – parfois même dans les middle levels – avec les services RH qui font les approches eux-mêmes.
– LinkedIn qui, selon la plupart des professionnels serait une vraie menace au niveau intermédiaire pour les cabinets de recrutement. Cela va-t-il également être vrai pour les recrutements de top niveau? Probablement pas, mais quand les nouvelles générations passeront au niveau exécutif, cela pourra bien impacter la nature du service des sociétés de recrutement et la profession doit en avoir conscience.
L’utilisation des réseaux sociaux, et en particulier de LinkedIn, est un secret de Polichinelle pour l’industrie du recrutement, mais il serait insensé pour toute industrie basée sur l’information de ne pas utiliser des données gratuites et publiquement diffusées en ligne. Au lieu de faire de la résistance, l’innovation doit être acceptée et accompagnée pour en tirer le maximum de bénéfices. Dans le cadre de la chasse de tête, «LinkedIn forcera les entreprises de recrutement à se concentrer sur ce que nous faisons le mieux: établir des relations, évaluer rigoureusement l’ajustement et les compétences, et ajouter de la valeur aux deux côtés de l’équation» – explique Anna Penfold, ex-Client Partner chez Korn Ferry et actuelle spécialiste RH chez Russel Reynolds Associates. De bons recruteurs utilisent LinkedIn comme une ressource, mais il est peu probable qu’il soit une menace au niveau haut de gamme, pour les consultants indépendants opérant pour le compte d’un client. L’art du réseautage reste le même à un niveau supérieur plus ambitieux, la seule chose qui a aussi changé, c’est le véhicule utilisé pour construire ce network, grâce auquel les headhunters ont accès à plus d’informations pour maintenir leurs réseaux. Il faut donc faire une claire distinction entre les agences de recrutement et les cabinets de recherche de cadres. Pour les top jobs, LinkedIn est encore trop grand public car plus vous êtes senior, plus une approche personnelle, discrète et qualifiée d’un chasseur de tête sera précieuse.
Bien qu’il soit tout aussi facile de trouver des candidats que de les perdre, puisqu’ils sont en affichage permanent aux concurrents et aux chasseurs de tête, il est difficile de quantifier à ce jour l’impact des réseaux sociaux sur le marché du travail. En théorie, le fait de faciliter la recherche de meilleurs emplois pourrait avoir une incidence sur le taux de roulement des entreprises: jusqu’à présent cela semble avoir peu d’impact et d’autres facteurs (comme le cycle économique) semblent plus importants. Mais personne ne sait vraiment encore.
En conclusion, certes l’avènement de ces nouvelles techniques et de ces nouveaux outils mettant en contact les entreprises et les potentiels candidats privera certaines agences de pouvoir effectuer elles-mêmes ces recrutements pour leurs clients qui auront pourvu sans intermédiaire les postes en question, mais c’est un moindre mal car le plus souvent cela ne concernera que des postes proposés soit à des débutants, soit à des mid-level. En revanche, lorsqu’il s’agit de postes « seniors » nécessitant au moins une dizaine d’années d’expérience avec des spécificités techniques, linguistiques et géographico-culturelles, le recours à un cabinet de chasse de tête se justifiera. Par ailleurs j’ajoute qu’il ne faut pas oublier que ces plateformes de contact ne concernent que les personnes qui décident d’y être (cela prive donc les entreprises de tout contact avec celles qui n’y sont pas…) et quand bien même ces dernières s’y inscrivent, elles ne sont pas toutes forcément à l’affût de contacts possibles, bien au contraire…et cela est particulièrement vrai en ce qui concerne les membres suisses.
Pour le pratiquer depuis plus de 20 ans, le métier de chasse de tête, bien que reposant sur des techniques d’origine militaire élaborées pour sélectionner et recruter les meilleurs officiers pendant la seconde guerre mondiale, n’en reste pas moins un art, tant l’humain ne se comprend et ne se définit que par la sensibilité et l’émotion qui codifient les relations humaines.
Olivier Pichot
Fondateur et Co-Managing Director du cabinet HRCG,
avec plus de 20 ans d’expérience dans le domaine des Ressources Humaines, du consulting et de la chasse de tête.